Le Capitaine Danrit a, par ses écrits et ses romans, influencé toute une génération. Parmi ses lecteurs, il en est de célèbres tels Georges Guynemer, André Maurois, Antoine Bethouart, son filleul Honoré d'Estienne d'Orves, probablement aussi Charles de Gaulle... Il y a aussi une foule de français anonymes dont il a ancré dans le coeur le sens de l'Honneur, l'amour du Drapeau et de la Patrie; tel le lieutenant Paul Simon, du 59e BCP, qui, accueillant son nouveau Chef, voit immédiatement en lui "le fameux auteur de nombreux romans militaires qu'il écrit sous le pseudonyme du Capitaine Danrit."
Si le Capitaine Danrit a eu une influence sur sa génération, il est aussi intéressant d'explorer les auteurs et références qui ont eu le plus d'influence sur lui. Dans ses romans et ses écrits, il lève le voile sur un certain nombre d'entre eux...
Salammbô de Gustave Flaubert
S'il est un titre remarquable parmi tous - car c'est à sa lecture que le capitaine Driant s'est écrié "moi aussi je suis écrivain" - c'est Salammbô de Gustave Flaubert. Ce roman historique, qui a pour théâtre Carthage, relate la révolte des Mercenaires qui avaient combattu lors des premières guerres puniques, furieux de ne pas avoir reçu leur solde, se soulevant contre la ville de Carthage, défendue par Hamilcar Barca. Pour écrire ce livre, Flaubert s'est rendu sur les lieux, à Tunis, Carthage et Bizerte; des lieux que la capitaine Driant connait bien, lui qui fut en garnison à Tunis, au 4e Régiment de Zouaves, à trois reprises de 1883 à 1899.
Le roman de Flaubert commence par cette phrase: "C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar." C'est précisément dans ces jardins que, confie-t-il dans une lettre à un ami de Reims, le capitaine Driant a lu et relu Salammbô; décrivant une photo qu'il lui envoie, il écrit à son ami : "Au fond, à gauche; le village de Bou-Saïd, fait de ruines puniques. Là s'étalent, pour moi, les jardins d'Hamilcar et là-haut, près du phare, j'ai relu deux fois Salammbô ayant tout Carthage à mes pieds."
Son premier biographe, Gaston Jollivet, un ami du couple Driant, rapporte : "Enflammés par la lecture de Salammbô, familiarisés avec l'architecture de l'ancienne cité, telle que Flaubert l'a décrite - avec quelle magie! - ils voulurent que leur maison s'élevât au sommet de l'escalier dont Mâtho, au dernier épisode du livre, descend précipitamment les marches, avant d'être conduit au supplice, au milieu de la foule hurlante".
On voit la place que tient ce roman et combien sa lecture a marqué le capitaine Driant. Et encore tout bouillant de sa lecture, expérimentant combien l'écriture est de nature à éveiller de sentiments forts dans le coeur de l'homme, nait chez Emile Driant le désir de devenir écrivain. "Entre deux lecture de Salammbo, écrit-il, j'ai eu l'audace de m'écrier: "Moi aussi je suis romancier"." Le Capitaine Danrit est né.
Jules Verne, ses romans d'aventure et d'anticipation
Si l'on remonte à la source, aux premiers émois provoqués par la lecture, il faut citer Jules Verne. Le jeune Emile Driant, comme beaucoup de sa génération (Lyautey, Brazza, Charcot...) a été influencé et enthousiasmé à la lecture des romans d'aventure et d'anticipation de Jules Verne. Il avait 8 ans lorsque parut Cinq semaines en ballon, 10 ans à la sortie des Aventures du capitaine Hatteras, au pôle Nord, de Voyage au centre de la Terre, ou De la Terre à la Lune. Ce sont probablement Vingt Mille lieues sous les mers, Le Tour du monde en quatre-vingt jours ou Michel Strogoff qui viendront consoler et distraire le coeur du jeune adolescent blessé par la défaite de 1870...
Le Capitaine Danrit lui-même rend un hommage appuyé à Jules Verne, à qui il dédie sa deuxième oeuvre - après la Guerre de Demain - L'Invasion noire, dans laquelle il met lui-même en scène des ballons dirigeables lenticulaires et de nombreuses innovations technologiques souvent visionnaires, parfois farfelues. Il écrit à son maître en préambule : "Lorsque j'étais enfant, vos merveilleux récits me transportaient; arrivé à l'âge d'homme, je les ai relus, admirant avec quel art vous vulgarisez tous les problèmes de sciences naturelles, avec quelles richesses de description vous racontez des voyages imaginaires, simplifiant les questions les plus ardues, rendant attrayante l'étude de la géographie, sachant faire jaillir les situations dramatiques et les émotions généreuses, amusant pour instruire, instruisant pour être utile.
Si bien qu'un jour, piqué de la tarentule d'écrire, j'essayai d'appliquer, aux sciences qui dérivent de la guerre, votre merveilleux procédé. (...) Vous avez intéressé, ému, charmé toute une génération. - Merci de tout coeur de vouloir bien mettre un nom aussi universellement sympathique que le vôtre en tête de l'Invasion noire. (Capitaine DANRIT - Saint-Cyr, octobre 1894)".
De fait, cette influence de Jules Verne est tangible dans les romans du capitaine Danrit. Il a été fidèle à son projet d'amuser pour instruire, d'instruire pour être utile, en vulgarisant lui-même les sciences qui dérivent de la guerre. Il y a quelque chose de Cinq semaines en ballon dans La Guerre en Ballons, quelque chose de Michel Strogoff dans le Karlow d'Ordre du Tzar, quelque chose des Aventures du Capitaine Hatteras dans les Robinsons de l'Air. Ce titre-même des Robinsons que la Capitaine Danrit utilisera à trois reprises - les Robinsons sous-marins, les Robinsons de l'air, les Robinsons souterrains - n'est-il pas une référence explicite aux Robinsons verniens, L'Ecole des Robinsons, traitant d'un thème cher à Jules Verne et à son disciple, le thème des naufragés, ou comment le courage et la connaissance permettent de survivre dans un milieu hostile.
Servitude et Grandeur militaires d'Alfred de Vigny
Les livres qui comptent dans une vie sont souvent ceux que l'on se plait à relire dans les moments importants. Il en est un dans lequel le commandant Driant se replonge à un moment décisif où il est sur le point de quitter l'Armée qu'il a servie loyalement pendant 25 ans : c'est Servitude et Grandeur militaires d'Alfred de Vigny. Emile Driant en parle dans une tribune qu'il publie dans le journal L'Eclair le 24 janvier 1906, un mois jour pour jour après avoir quitté l'uniforme.
"C’était dans l’un des derniers jours de ma vie militaire. Ma demande de retraite était partie et ma mélancolie se compliquait des obligations de rester enfermé dans ma chambre (le commandant Driant s'était vu infliger quinze jours d'arrêts par le ministre de la guerre, Berteaux, pour avoir fait célébrer un service funèbre à la cathédrale de Troyes à l'occasion de la fête de Sidi-Brahim au 1er Bataillon de Chasseurs à pied). Ma réclusion touchait à sa fin et, pour en tromper les dernières heures, j’avais pris, parmi mes livres préférés, un de ceux qui avaient le plus influé chez moi sur le choix d’une carrière: Grandeur et Servitude militaires. Ce livre, Alfred de Vigny l’avait écrit pour une génération comme la mienne, puisqu’il l’adressait à l’armée de 1835, dans laquelle aucun homme de vingt ans de services n’avait vu une bataille rangée. Il avait excité mon enthousiasme de la vingtième année par la sublimité de ses considérations sur la grandeur de la mission de l’officier ; c’était le cas, au déclin d’une carrière interrompue, de relire les pages consacrées à la servitude militaire. (...) Et, feuilletant rapidement à la recherche des passages préférés, j’arrivai à celui-ci : "Que nous reste-t-il de sacré ? Dans le naufrage universel des croyances, quel débris où se puissent rattacher encore des mains généreuses! Hors l'amour du bien-être et du luxe d’un jour, rien ne se voit à la surface de l'abîme. L'égoïsme a-t-il donc tout submergé?" Je m’interrompis pour me faire à moi-même la remarque que ces lignes semblaient écrites de la veille, tant elles s’appliquaient aux hommes et aux événements d’aujourd’hui. "J’ai cru apercevoir sur cette sombre mer un point qui m'a paru solide, répondait à sa propre question Alfred de Vigny. Je l’ai approché et l'ai trouvé assez fort pour servir d’appui dans la tourmente. Ce n’est pas une foi neuve : c'est un sentiment né avec nous, un sentiment fier, inflexible, un instinct d'une incomparable beauté. Cette foi qui me semble rester à tous encore et régner en souveraine dans l'armée est celle de l'Honneur !" Ce passage, je l’avais lu et commenté à tous les Saint-Cyriens qui m’étaient passés par les mains quand j’étais capitaine instructeur à notre vieille Ecole : je voulais leur montrer, dès leur premier pas dans la vie militaire, que ce mot Honneur devait la dominer toute. Et ma rêverie peu à peu se transforma en assoupissement, car soudain je vis devant moi Alfred de Vigny en uniforme de lieutenant des gardes-rouges : — "Vous lisez mon pauvre livre, me dit-il ; il est bien démodé." Fort ému, je regardais l’homme qui, lycéen pendant la guerre de l’Empire et bouillant d’enthousiasme à la lecture des Bulletins de la Grande Armée, avait passé une partie de sa vie à attendre vainement le retour de la gloire des armes, et l’autre partie à faire de beaux vers. La mélancolie était peinte sur son visage à la fois énergique et rêveur et je me rappelais devant sa double personnalité, une phrase lue quelques instants auparavant: "Ce qu'il y a de plus beau après l'inspiration, c'est le dévouement ; après le poète, c’est le soldat!" Comme je ne répondais point : — "Oui, bien démodé, appuya-t-il, car j’écrivais tout cela à une époque où « l'armée était une nation dans la nation » : aujourd’hui, vous avez une armée qui est la nation elle-même." Et se penchant sur la page où j’en étais resté : — "Ah ! fit-il, du moins, voilà quelque chose qui ne doit pas l’être, démodé ?... Aujourd’hui comme hier, c’est toujours cela qui guide l’armée, n'est-il pas vrai ?" Et son doigt se posa sur le mot : Honneur."
On retrouvera régulièrement au coeur des romans du Capitaine Danrit cet thème de l'Honneur, ainsi que le conflit entre les mouvements du coeur et l'appel du Devoir sacré, qui sont au coeur des trois nouvelles de Servitude et Grandeur militaires d'Alfred de Vigny.
Les grands auteurs classiques latins et grecs
Comme tous les élèves de Collège et de Lycée de son époque, le Capitaine Danrit a pratiqué assidument les auteurs classiques, grecs et latins. Comme il obtenait souvent le premier prix de sa classe en Version latine, on peut imaginer que le jeune Emile Driant appréciait particulièrement ces études.
Sur un cahier de rhétorique (année 1873) qui est parvenu jusqu'à nous aujourd'hui, on peut lire par exemple, au fil des pages noircies de sa fine écriture, des textes de Virgile (Ennéide), d'Euripide (Iphigénie), d'Horace (Odes), de Tacite (Vie d'Agricola), Tite-Live (L'enlèvement des Sabines, le Siège de Rome par les Gaulois...), etc.
Pétri de cette culture classique, il n'est pas étonnant que le Capitaine Danrit glisse des références, plus ou moins explicites, aux épisodes de l'Histoire antique dans ces romans. Telle cette référence à l'Iliade au début de la 3e partie de L'Invasion noire, alors que les troupes musulmanes traversent le Bosphore pour déferler sur l'Europe : "Dans son immortelle Illiade, Homère nous montre Jupiter environné des dieux de l'Olympe et, la foudre en main, assistant impassible aux luttes héroïques entre Grecs et Troyens. C'était non loin de là, à quelque distance de cette fameuse plaine, ubi Troja fuit, où coule encore le Simois et que domine le mont Ida, c'était non loin de cet observatoire des dieux et des déesses qu'entouré des chefs noirs, impassible et comme nimbé d'une auréole prophétique, Abd-ul-M'hamed, le Sultan du désert contemplait les derniers combats livrés en Asie mineure." A propos de ce roman du Capitaine Danrit, Jean-Marie Seillan y voit de nombreuses "références intertextuelles" renvoyant à l'épopée antique. Il remarque par exemple : "Des différents topoï de l’épopée guerrière, le dénombrement est le plus productif. S’inspirant du chant II de L’Iliade qui dresse le célèbre catalogue des vaisseaux achéens et la liste des peuples et des chefs troyens et alliés (Dardaniens, Lyciens, Phrygiens, Thraces), Danrit fait l’inventaire, peuple par peuple, des troupes et des armements. "
Les écrivains patriotes
Parmi les écrivains dont on sait que le Capitaine Danrit les a lu, il y a évidemment de nombreux écrivains qui partageaient avec lui l'amour et le service de la Patrie.
Paul Déroulède tient une place toute particulière car il est aussi un ami. Dans la Guerre de Forteresse, le Capitaine Danrit met en scène un dialogue à son propos. Evoquant la figure du fondateur de la Ligue des Patriotes, un des personnages se tourne vers le lieutenant Danrit, narrateur et personnage principal du roman : "- Vous le connaissez, je crois. - Oui, mon capitaine (répond Danrit), beaucoup; et j'ai un recueil de ses Chants du soldat sur lequel il m'a donné lui-même le titre d'ami". Et en effet, Paul Déroulède lui dédicaçait chacune de ses oeuvres avec un petit mot amical, comme : "A mon cher ami, le capitaine Driant, amical souvenir d'un ancien zouave."
Nous pouvons citer aussi Jules Claretie, l'auteur du Drapeau, à qui le Capitaine Danrit dédicacera son premier roman, La Guerre de Forteresse, en ces mots : "Ce livre, j'ai tenu à vous le dédier. Il y a quelques années, je lisais de vous un petit chef d'oeuvre intitulé "Le Drapeau". C'est le souvenir touchant que j'en ai gardé qui me guide aujourd'hui vers vous, me donnant une nouvelle occasion de vous assurer de ma vive et respectueuse sympathie."
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